Hormis ceux qui en font leur spécialité, il est rare que les musées exposent du design. Il est encore plus rare qu'il s'expose dans une ancienne église. C'est ce que propose jusqu'au 17 décembre le Musée des beaux-arts d'Agen (Lot-et-Garonne), en présentant "Design A Cappella, des designers enAquitaine" dans le chœur de l'église Notre-Dame-des-Jacobins de la ville, datant du XIIIe siècle, un des rares exemples intacts de l'architecturedominicaine en France.
L'exposition rassemble plus de 270 objets d'une quarantaine de designers. Ces pièces historiques ou productions contemporaines, uniques, prototypes ou en séries, représentent un joli florilège de près de soixante années de design, de 1955 à nos jours, dans les domaines du mobilier et des arts de la table en passant par le luminaire et le design industriel.
Nombre des oeuvres présentées ont été créées par des designers célèbres dont les créations figurent parmi les collections des musées de la région : musée d'Agen, des arts décoratifs de Bordeaux ou fonds régional d'art contemporain (Frac) d'Aquitaine. Parmi eux, Ettore Sottsass, Roger Tallon,Philippe Starck, Michele De Lucchi, Jasper Morrison, Elisabeth Garouste &Mattia Bonetti...
Avec ses 650 m2, la nef gothique de l'édifice ne manque pas d'ampleur. Le design s'y trouve donc à son aise. En fonction de la typologie des objets, il est orchestré ici, sans artifices, a cappella - comme l'on dit des oeuvres vocales sans accompagnement instrumental - d'où le titre de l'exposition.
"C'est sans doute un lieu insolite pour le design mais nous y organisons chaque année des expositions estivales, commente Marie-Dominique Nivière, la conservatrice du musée, afin de les prolonger jusqu'à la fin de l'automne, accueillir un large public, notamment les scolaires et les étudiants, et profiter d'un espace plus grand que celui du musée". Ce parti pris scénographique est également assumé par l'historienne du design Roseline Giusti, qui a secondé Mme Nivière : "Le public peut suivrel'évolution des formes et des matières, des savoir-faire et des innovations, qui ont modifié la création et la production des chaises, tables, luminaires, etc."
S'EMPARER LITTÉRALEMENT DE L'ESPACE
Le bois et le verre, la laine et le chanvre, le grès ou le liège attestent des goûts d'une époque. Quant aux nouveaux matériaux tels le carbone, le Plexiglas ou l'aluminium, l'exposition montre que les designers d'aujourd'hui les conjuguent avec des matières plus écologiques. Preuve que le retour au naturel n'est pas qu'une formule marketing. Et les œuvres, au-delà de leur fonctionnalité et de l'imagination de leurs créateurs, ne se limitent pas à la production d'objets.
L'autre parti pris des organisateurs est de s'emparer littéralement de l'espace occupé jadis par les dominicains, et de s'approprier le tempo de leurs activités. Les luminaires, sièges, bureaux, objets de table, vases ou ustensiles de jardin, qui composent cette épopée historique, ne sont donc pas disposés au hasard sous les huit croisées d'ogives de l'impressionnante nef. Ils tentent d'épouser les activités manuelles et intellectuelles, la liturgie des heures entre le lever et le coucher du soleil, qui scandaient la vie des anciens locataires. De capter aussi la lumière qui filtre des vitraux (datant du XIXe siècle).
Dernier parti pris : le choix des designers. Ils ont tous un lien avec l'Aquitaine. Certains sont de la région, ou y ont installé leurs ateliers. D'autres sont passés ou vont entrer dans la résidence design et métiers d'art du pôle expérimental de Nontron, en Dordogne.
D'autres enfin ont réalisé leurs créations avec des artisans ou desentreprises aquitains. C'est le cas d'Antoine Phelouzat et Xavier Clochard. Pour la création de leurs objets en liège, ils ont travaillé avec Agglolux-CBL, une société située à Soustons (Landes), qui – concurrence sur le marché des bouchons oblige – fabrique aussi des isolants, des semelles orthopédiques et des balles de baby-foot.
Pour son Tatami, assemblage de modules formant une grande rosace – au cœur de laquelle se nichent les bagues en plexiglas et en titane de l'orfèvre Costanza –, Vincent Poujardieu a choisi la société HPK à Lavardac (Lot-et-Garonne). Olivier Gagnère a travaillé avec la coutellerie de Nontron pour réaliser ses couverts en métal, ébène ou corian. Et quant aux verres deChristian Ghion, ils ont été soufflés à la bouche à la verrerie de Vianne (Lot-et-Garonne), aujourd'hui disparue.