par Roseline Giusti, paru dans la Revue PHAETON N° 10, thème : X, 2024, pp. 297-299
La thématique du corps innerve tout l’œuvre de Jacques Brianti. Quelles que soient les situations ou les périodes, rarement l’humain s’est absenté de ses toiles et de ses dessins. Le monde de Jacques Brianti est furieusement habité par l’humain, construit par l’humain et actionné par lui. « Sa peinture est un corps », disait le poète Serge Pey. L’artiste joue en effet du corps et de ses figures sans restriction.
Corps glorieux (luxuriance de la chair, sensualité, plaisir, jouissance, enlacement, imbrication, agglutinement, symbiose). Ici la vie est plénitude jusqu’aux débords, rayonnement jusqu’à l’irradiation. Il n’y a pas de « viande » chez Brianti. Le corps est toujours habité, non par une âme – il n’y croit pas - mais par ce frisson vitaliste qui loge au cœur même de son trait et transfigure toute scène en un scénario de vie, impérieux.
Corps mis en scène, dictant aux décors sa place, dressant colonnes et parois à sa mesure. Le corps se meut à l’aise dans le bâti. Si quelques paysages urbains font l’économie de l’humain, le corps négocie généralement sa présence dans son cadre de vie, en propriétaire. Il a le dernier mot et actionne les rouages. L’architecture n’est ni abri nécessaire, ni écrasement. C’est que l’artiste s’est maintes fois essayé aux décors, amples, généreux, appelant l’épopée et les mythes et l’homme y a toujours le dernier mot. Le cerveau humain commande aux effets. Son monde n’est pas dévoyé par les robots.
Corps souffrant (coutures, cicatrices, sanguinolences, cris, pleurs, larmes…). Si les scènes sont graves, il n’y a pas pour autant de chaos. La rédemption, même infime, est toujours à l’œuvre. Jacques Brianti ne consent pas à courber l’échine ; il prend le monde à bras-le-corps et surmonte vaille que vaille ses vicissitudes. A quoi bon mourir en peinture puisque la vie, sans pitié, se charge de la tâche ! Ne cherchez pas chez lui de gisant, de masque mortuaire, de visage blafard ou alanguis et bientôt exsangues… l’artiste n’aime pas les états d’âme. Et quand bien même la mort rôderait et ferait mouche, le corps ne capitule jamais tout à fait et tente une salvation. Jacques Brianti ne cesse de conjurer la fin dernière. Et le corps se sauve toujours de telle ou telle autre sorte.
Corps spéculaire, en abime, se perdant de miroirs en miroirs. Ses intimités sont au grand jour, bruyamment mises en vue, relayées. Le corps renoncerait-il à l’exposition ?
Corps mis en boîte (caché, rangé, conditionné, enfermé, condamné au silence, empêché). Ici, la dénonciation est à l’œuvre.
Et s’il y a paysage, c’est que le corps endosse, le plus souvent, la fonction. Corps-paysage. Ses Amers d’Adour, par exemple, sont des balises où figurent des corps féminins, sensuels repères, livrés aux agacements du fleuve Adour.
Chacune des manières est outil pour appréhender le monde. « Son corps est une mesure » précisait Serge Pey.
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Le corps est entier, ou par parties. Les bustes étêtés ne perdent en rien de leur superbe, les jambes ou bras détachés ont la force du corps entier. Les bouches sont à elles seules tout le discours. Jacques Brianti use de la synecdoque.
Quant aux têtes sans corps qui sont souvent des crânes, ils agissent en foule, porteurs de message. Car, même mis en pièce, le corps reste pensée et l’engagement, circonstancié ou plus universel, est au cœur de l’œuvre, par principe.
Qui plus est, le corps est toujours protagoniste. Jacques Brianti s’est-il un jour lassé de peindre l’humain ? Certes, le monde animal ne lui est pas étranger. Ses tauromachies sont exaltées, ses croquis animaliers expressifs. Mais le corps humain a la part belle et se donne dans son impétuosité, sans hybridation, sans clonage contre nature.
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Que ces corps soient en majorité des nus ne change rien au propos. Jacques Brianti a rarement recours à de belles épures. Son trait expressionniste balaye toute joliesse. Sa quête du vivant dépasse la seule recherche de contours et de carnation. Ses nus se situent au-delà. Actifs, présents, ils participent d’une action plus générale. Ils sont la condition d’accès au monde, à son monde.