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3 septembre 2010 5 03 /09 /septembre /2010 18:53

La dame aux papiers peints

par Roselyne Giusti-Wiedemann
photographies d’Antoine Guilhem-Ducléon

Paru dans Le Festin #60 •

3 Saint Pandelon 10p 12/10/06 11:41 Page 2

 

Françoise Subes a consacré sa vie à retrouver le décor original de
son château, transformant chaque pièce en une oeuvre élégante et
sophistiquée. Reconnue pour son savoir-faire, cette orfèvre de l’ornement
a exercé ses talents dans plusieurs demeures historiques de l’Aquitaine.

 

D’Extrême-Orient à Saint-Pandelon
En décoration, les papiers peints sont à la mode. Les spécimens
anciens (rouleaux complets ou chutes, tentures, panoramiques,
bordures) connaissent le succès dans les ventes
aux enchères, les rééditions puisent dans les fonds des
musées – celui par exemple du Victoria et Albert Museum
de Londres. La jeune création fait preuve d’invention radicale
et ses motifs, rendus autonomes, se collent parfois
directement sur les murs1.
Venue de l’Extrême-Orient au XVe siècle, la technique des
papiers peints s’est développée en France surtout dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle, notamment grâce aux efforts
de l’industriel J. B. Réveillon qui réalise des impressions
sur vélin avec des planches en bois gravé. Les fabricants Zuber,
Dufour et Leroy mécanisent cette production à partir de 1850
et multiplient motifs et décors. Au début du XIXe, la passion
des Français pour ce type de revêtement est à son comble.
À l’origine, les papiers peints servent à tapisser divers
objets comme coffres, coffrets – de coursiers à cheval par
exemple –, livres, paravents, se soumettant aux formes des
ustensiles. Lorsqu’ils partent à l’assaut des parois, ils affichent
une liberté, voire une désinvolture qui convient bien
à l’esprit du XVIIIe. Peints à la détrempe, ces papiers offrent
une touche plus sensible que la tapisserie dont ils se sont
émancipés et se déclinent dans des coloris d’une étonnante
fraîcheur.
La fin de l’année 1771 voit s’installer à Bordeaux Édouard
Duras (Dublin, 1735-Bordeaux, 1791) qui, outre sa production
personnelle, importe d’Angleterre des modèles en vogue.
Il tient boutique et ouvroir Place Dauphine2. À Saint
Pandelon, Mgr Le Quien de la Neufville rénove alors son
château. Pris d’engouement pour ces irrésistibles décors à
la mode qu’il a vus à Paris, il commande au sieur Duras
fourniture et pose d’un ensemble important.
Deux siècles plus tard, la découverte de ces papiers peints
d’origine sous diverses couches – jusqu’à sept successives –,
va entraîner les époux Subes dans une entreprise de restauration
de plus de trente ans.
L’acquisition du domaine s’est faite sur un coup de foudre.
Françoise Subes se souvient de son émerveillement devant
les camélias en fleur qui, côté nord, percent au-dessus des
ronces. À l’intérieur, rien n’a été touché. L’authenticité de
cette maison lui apparaît donc comme exceptionnelle.
Néanmoins, l’installation n’est pas simple. Peu contrée
depuis des lustres, la nature, livrée à elle-même, a pris trop
avantageusement ses droits et les taillis enserrent la bâtisse
de toutes parts. Et c’est à la machette qu’il faut dégager
les accès. Bien qu’inhabité et recouvert d’épineux, le château
des Evêques n’en est pas moins un lieu convoité. Les nouveaux
acquéreurs le découvrent à leurs dépens. Le terrain d’aviation
proche a fait du donjon un repère pour les exercices
aériens. Et, construit sur un pic d’ophite3, le château abrite
une carrière qui menace dangereusement ses fondations4.
Françoise Subes a consacré sa vie à retrouver le décor original de
son château, transformant chaque pièce en une oeuvre élégante et
sophistiquée. Reconnue pour son savoir-faire, cette orfèvre de l’ornement
a exercé ses talents dans plusieurs demeures historiques de l’Aquitaine.
>
1. Le bordelais
Emmanuel
Lesgourgue, entre
autres, excelle dans
ce genre de
« sticker ».
2. Aujourd’hui
Place Gambetta, à
l’emplacement de la
Maison Hermès, où
les multiples
couches superposées
de papiers peints
ont subsisté
jusqu’en 1979.
3. Roche éruptive,
dite aussi
serpentine, utilisée,
entre autres, pour le
revêtement des
routes.
4. Le classement du
château au titre des
Monuments
historiques règlera
le problème.
Recherches Landes
7 • le festin #60 •

 

logues de cette sorte fragilissime de vestiges, ils résolurent
de reconstituer le puzzle des décors lacérés puis, réinventant
la technique ancienne dite des cadres lyonnais, de
recréer les décors perdus. Dans le château même, un atelier
fut installé, consacré à l’impression de papiers peints en
dominos, ces carreaux de papier, de 45 x 55 cm environ,
que l’on colle bout à bout ou, pour parler comme au XVIIIe
siècle, que l’on raboute. L’atelier continue jusqu’à ce jour
de produire des papiers imprimés à la main, d’après modèles
anciens, à la demande des particuliers ou des institutions
patrimoniales, dans le cadre de la restauration de châteaux
ou de demeures historiques. C’est ainsi, pièce après pièce,
que fut recréé à Saint-Pandelon, dans sa fraîcheur et son
éclat d’origine, l’environnement familier du dernier évêque
dacquois de l’Ancien Régime.
Jaune moutarde, bleu turquoise ou rose indien
Les estampilles apposées au revers des dominos retrouvés
ont révélé la personnalité d’Edouard Duras, dominotier à
Bordeaux, place Dauphine. Natif d’Angleterre, où l’engouement
pour les papiers peints s’était affirmé dès le début
du XVIIIe siècle, il s’était avisé de la vogue naissante en France
de ces décors muraux et avait choisi de venir s’établir en
Aquitaine en 1771 pour y exploiter son savoir-faire. Doué
d’une rare imagination plastique, il crée d’éblouissants
motifs d’inspiration rococo à damas, rinceaux, bouquets,
rubans, dentelles évoquant des motifs de soieries, voire
encore de luxuriantes compositions «aux oiseaux à la façon
de Chine». Ses productions témoignent d’un goût prononcé
pour la stridence des tons et l’audace des associations colorées
: jaune moutarde, bleu turquoise ou rose indien, très
saturés, voisinent sans complexes, aussi loin que possible
de l’idée de distinction retenue et précieuse que l’on associe
trop souvent aux préférences chromatiques du XVIIIe siècle.
On ne recule devant aucune audace : pour exalter les tons
vifs d’un motif à fleurs, notre décorateur n’hésite pas à les
détacher sur un fond noir de la dernière énergie. Les fragments
de dominos retrouvés ont aussi révélé la latitude illimitée
que se donnait Duras, qui pouvait imprimer un même
motif suivant des accords colorés différents, multipliant
ainsi à l’infini – et pour tous les goûts – les possibilités de
son catalogue ! L’on enrage à penser que, lors d’une récente
rénovation de l’immeuble bordelais où se trouvaient l’échoppe
et l’habitation de Duras, les ouvriers employés sur le chantier
durent péniblement gratter et détruire des dizaines de
couches superposées de papier peint avant d’arriver à l’enduit
mural : ainsi se sont perdus les dominos dont chaque
année le sieur Duras retapissait ses murs en guise de réclame
pour ses nouvelles productions !
Parmi les revêtements retrouvés à Saint-Pandelon figurent
aussi des papiers anglais d’importation du type dit flocked
papers, dont la caractéristique est d’imiter l’apparence
précieuse des velours ciselés obtenue par saupoudrage d’une
poussière de laine sur préparation à la colle, technique dite
tontisse. Ces revêtements, d’un caractère spécialement
précieux, étaient réservés aux pièces les plus prestigieuses
des appartements, à la chambre du prélat en particulier.
La couleur d’une époque
Monseigneur de La Neufville apparaît dans les quelques écrits
qui nous restent de lui comme un homme lettré, amateur
d’art, pouvant citer en passant Madame de Sévigné ou, inci-
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Recherches Landes
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• le festin #60 • 4
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demment, émailler son propos d’une allusion à Watteau.
Homme de l’ancien monde, fidèle aux valeurs de son état
et de sa caste, il jette néanmoins autour de lui un regard
d’observateur lucide, sans illusions. L’un des événements de
sa vie fut sa visite à Versailles quelque temps avant la tourmente
révolutionnaire, en mai 1789. Il pressent alors la
débâcle prochaine et en diagnostique les causes : l’insouciance
suicidaire de l’entourage royal, son immoralité, le
gaspillage et le luxe effrénés de la classe dominante.
«Le trône est éclaboussé par le scandale », écrit-il à l’un de
ses correspondants provinciaux, « si vous saviez ce que l’on
peut lire ou entendre dans certains salons, vous seriez rempli
d’effroi. Ainsi vous comprendrez qu’il me tarde de revenir
dans ma chère résidence de Saint-Pandelon pour y prendre
un peu de repos après tant d’émotions ». Hélas, il était écrit
que le répit serait bref : l’orage éclate ; pressé de prêter
serment à la Constitution civile du clergé, le prélat refuse
tout net : «l’autorité temporelle peut intercepter ou suspendre
mes fonctions publiques, elle ne pourra jamais m’ôter les
pouvoirs dont la puissance spirituelle m’a investi». Le pauvre
évêque n’a pas d’autre issue que la fuite : il doit abandonner
en catastrophe sa “chère résidence” à peine rénovée et s’exiler
en Espagne.
Revenu au moment du Concordat, il meurt en 1808 non loin
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Recherches Landes
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de Bordeaux sans avoir revu sa demeure dacquoise, entre
temps acquise comme bien national par un certain Jean-
Jacques Ducros.
La couleur d’époque – comme le son en musique – est la
chose du monde la plus volatile, la plus difficile à restituer
et pourtant essentielle à la connaissance de l’esprit d’un temps.
La résurrection des papiers peints de Monseigneur de La
Neufville a été l’une de ces aubaines qui révèlent tout un
pan de l’histoire du goût, éclairant un penchant somme toute
assez méconnu de l’esthétique intérieure du XVIIIe siècle pour
la vivacité chromatique et l’éclat, et faisant retrouver au
mobilier de l’époque toute la fraîcheur et l’élégance de son
environnement d’origine. +
Bibliographie
L’essentiel des informations provient des articles de Jacques Subes (†), publiés dans
plusieurs livraisons du Bulletin de la Société de Borda, années 1974 et 2002
(publication par Éric Lhuillier pour l’article le plus récent), ainsi que des
communications de Jean-François Massie pour le même bulletin, années 1972-1973.
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La dame aux papiers peints
D’Extrême-Orient à Saint-Pandelon
En décoration, les papiers peints sont à la mode. Les spécimens
anciens (rouleaux complets ou chutes, tentures, panoramiques,
bordures) connaissent le succès dans les ventes
aux enchères, les rééditions puisent dans les fonds des
musées – celui par exemple du Victoria et Albert Museum
de Londres. La jeune création fait preuve d’invention radicale
et ses motifs, rendus autonomes, se collent parfois
directement sur les murs1.
Venue de l’Extrême-Orient au XVe siècle, la technique des
papiers peints s’est développée en France surtout dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle, notamment grâce aux efforts
de l’industriel J. B. Réveillon qui réalise des impressions
sur vélin avec des planches en bois gravé. Les fabricants Zuber,
Dufour et Leroy mécanisent cette production à partir de 1850
et multiplient motifs et décors. Au début du XIXe, la passion
des Français pour ce type de revêtement est à son comble.
À l’origine, les papiers peints servent à tapisser divers
objets comme coffres, coffrets – de coursiers à cheval par
exemple –, livres, paravents, se soumettant aux formes des
ustensiles. Lorsqu’ils partent à l’assaut des parois, ils affichent
une liberté, voire une désinvolture qui convient bien
à l’esprit du XVIIIe. Peints à la détrempe, ces papiers offrent
une touche plus sensible que la tapisserie dont ils se sont
émancipés et se déclinent dans des coloris d’une étonnante
fraîcheur.
La fin de l’année 1771 voit s’installer à Bordeaux Édouard
Duras (Dublin, 1735-Bordeaux, 1791) qui, outre sa production
personnelle, importe d’Angleterre des modèles en vogue.
Il tient boutique et ouvroir Place Dauphine2. À Saint
Pandelon, Mgr Le Quien de la Neufville rénove alors son
château. Pris d’engouement pour ces irrésistibles décors à
la mode qu’il a vus à Paris, il commande au sieur Duras
fourniture et pose d’un ensemble important.
Deux siècles plus tard, la découverte de ces papiers peints
d’origine sous diverses couches – jusqu’à sept successives –,
va entraîner les époux Subes dans une entreprise de restauration
de plus de trente ans.
L’acquisition du domaine s’est faite sur un coup de foudre.
Françoise Subes se souvient de son émerveillement devant
les camélias en fleur qui, côté nord, percent au-dessus des
ronces. À l’intérieur, rien n’a été touché. L’authenticité de
cette maison lui apparaît donc comme exceptionnelle.
Néanmoins, l’installation n’est pas simple. Peu contrée
depuis des lustres, la nature, livrée à elle-même, a pris trop
avantageusement ses droits et les taillis enserrent la bâtisse
de toutes parts. Et c’est à la machette qu’il faut dégager
les accès. Bien qu’inhabité et recouvert d’épineux, le château
des Evêques n’en est pas moins un lieu convoité. Les nouveaux
acquéreurs le découvrent à leurs dépens. Le terrain d’aviation
proche a fait du donjon un repère pour les exercices
aériens. Et, construit sur un pic d’ophite3, le château abrite
une carrière qui menace dangereusement ses fondations4.
Françoise Subes a consacré sa vie à retrouver le décor original de
son château, transformant chaque pièce en une oeuvre élégante et
sophistiquée. Reconnue pour son savoir-faire, cette orfèvre de l’ornement
a exercé ses talents dans plusieurs demeures historiques de l’Aquitaine.


> par Roselyne Giusti-Wiedemann
> photographies d’Antoine Guilhem-Ducléon
1. Le bordelais
Emmanuel
Lesgourgue, entre
autres, excelle dans
ce genre de
« sticker ».
2. Aujourd’hui
Place Gambetta, à
l’emplacement de la
Maison Hermès, où
les multiples
couches superposées
de papiers peints
ont subsisté
jusqu’en 1979.
3. Roche éruptive,
dite aussi
serpentine, utilisée,
entre autres, pour le
revêtement des
routes.
4. Le classement du
château au titre des
Monuments
historiques règlera
le problème.
Recherches Landes
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3 Saint Pandelon 10p 12/10/06 11:41 Page 8Toutes ces déconvenues ont eu pour effet d’aiguiser l’énergie
du couple. Par la suite, Françoise Subes ira même jusqu’à
braver sur des chantiers de démolition les mâchoires avides
des bulldozers pour sauver quelques vestiges de papiers
anciens qu’on lui a signalés.
Une châtelaine-artiste
Baignée dès son plus jeune âge dans le monde des ornements
– son père était ferronnier décorateur –, Françoise Blanc
devient professeur d’arts plastiques. Elle épouse Jacques
Subes, enseignant de philosophie, lui-même fils du ferronnier
d’art Raymond Subes (1891-1970)5. Tout refaire scrupuleusement
à l’identique, voilà le programme que les Subes
se fixent de réaliser eux-mêmes. Les papiers peints qu’ils
découvrent, peu à peu, portent presque tous la marque de
Duras, 1772. Ce sont des modèles simples, ornés de figures
répétitives, le plus souvent florales, inspirées en grande
partie des indiennes et des toiles imprimées. Leur dépose
est longue et difficile. Des relevés successifs permettent
néanmoins de reconstituer les motifs. Si un élément vient
à manquer, on se refuse à toute interprétation. Pas d’approximation,
la configuration du moindre dessin est
respectée. C’est dans le corps de bâtiment du XVe que
Françoise installe son atelier. Armée d’une double formation
– École des beaux-arts et Arts Décoratifs de Paris –,
elle retrouve la technique artisanale des cadres lyonnais, en
vigueur au XVIIe. Celle-ci consiste en une armature en bois,
autrefois tendue de soie, aujourd’hui de nylon, qui laisse passer
la couleur. Les motifs sont réalisés au pochoir. La couleur
– qu’elle fabrique elle-même – est étalée à l’aide d’une
racle ; les parties obturées au préalable (au fiel de boeuf) ne
reçoivent pas d’impression. Autant de cadres que de coloris
(quinze au maximum), ce qui exige une grande précision
dans les repérages pour faire coïncider les motifs. L’impression
s’effectue sur des «dominos» (feuilles à l’origine de format
45 x 55 cm), collés bout à bout (raboutés), le papier en
rouleaux ne s’étant répandu que vers le milieu du XIXe
siècle.
Ce mode d’exécution permet aussi la séduisante «tontisse»,
aux motifs en relief imitant le velours. Deux papiers de ce
type6, à rinceaux floraux et à fond bleu intense (prusse noirci)
témoignent de la fidélité de la reconstitution et de la qualité
d’exécution. Ailleurs un papier jonquille éclatant, très XVIIIe,
ou un autre avec un dessin de fines branches sur un fond
vert étonnamment vif, révèle l’adresse de Françoise Subes
pour l’obtention du coloris souhaité.
La technique des cadres lyonnais convient autant aux tissus
qu’aux papiers peints. Tentures et couvre-lits de treize pièces
d’habitation ont pu être ainsi imprimés.
Cette activité va se poursuivre au-delà des besoins domestiques
de Saint-Pandelon. Françoise Subes entreprend des
recherches et se constitue une collection personnelle, base
de ressources où elle va puiser pour proposer aujourd’hui
près de quatre-vingts modèles différents.
Son goût de la perfection et son tour de main irréprochable
lui assurent rapidement un nom dans les monuments historiques,
les musées et les châteaux. La liste des commanditaires
est longue, en France, à l’étranger : Petit hôtel
Labottière à Bordeaux (voir page ??), Maison Louis XIV
à Saint-Jean-de-Luz, château de Viven à Thèse (près de Pau),
château d’Abzac, musée des arts décoratifs de Bordeaux,
Ancien Evêché d’Agen, Hôtel du Conseil Général du Lotet-
Garonne, château Figeac à Saint-Émilion, château de
Saché (Musée Balzac) en Indre-et-Loire, château Pommard
en Côte d’Or…
5. Raymond Subes a
laissé en France des
oeuvres majeures
comme la chaire de
la cathédrale de
Rouen, la grande
grille du narthex de
l’église de Saint-
Germain-des-Prés,
les lampadaires du
pont du Carrousel à
Paris, le tombeau du
maréchal Lyautey
aux Invalides et, à
Bordeaux, le
monumental portail
de la Faculté des
sciences (1958).
6. Caractéristique
d’une production
anglaise qui
commence au début
du XVIIIe siècle et fait
fureur en France à
partir de 1753.
9 • le festin #60 •

 

Toutes ces déconvenues ont eu pour effet d’aiguiser l’énergie
du couple. Par la suite, Françoise Subes ira même jusqu’à
braver sur des chantiers de démolition les mâchoires avides
des bulldozers pour sauver quelques vestiges de papiers
anciens qu’on lui a signalés.
Une châtelaine-artiste
Baignée dès son plus jeune âge dans le monde des ornements
– son père était ferronnier décorateur –, Françoise Blanc
devient professeur d’arts plastiques. Elle épouse Jacques
Subes, enseignant de philosophie, lui-même fils du ferronnier
d’art Raymond Subes (1891-1970)5. Tout refaire scrupuleusement
à l’identique, voilà le programme que les Subes
se fixent de réaliser eux-mêmes. Les papiers peints qu’ils
découvrent, peu à peu, portent presque tous la marque de
Duras, 1772. Ce sont des modèles simples, ornés de figures
répétitives, le plus souvent florales, inspirées en grande
partie des indiennes et des toiles imprimées. Leur dépose
est longue et difficile. Des relevés successifs permettent
néanmoins de reconstituer les motifs. Si un élément vient
à manquer, on se refuse à toute interprétation. Pas d’approximation,
la configuration du moindre dessin est
respectée. C’est dans le corps de bâtiment du XVe que
Françoise installe son atelier. Armée d’une double formation
– École des beaux-arts et Arts Décoratifs de Paris –,
elle retrouve la technique artisanale des cadres lyonnais, en
vigueur au XVIIe. Celle-ci consiste en une armature en bois,
autrefois tendue de soie, aujourd’hui de nylon, qui laisse passer
la couleur. Les motifs sont réalisés au pochoir. La couleur
– qu’elle fabrique elle-même – est étalée à l’aide d’une
racle ; les parties obturées au préalable (au fiel de boeuf) ne
reçoivent pas d’impression. Autant de cadres que de coloris
(quinze au maximum), ce qui exige une grande précision
dans les repérages pour faire coïncider les motifs. L’impression
s’effectue sur des «dominos» (feuilles à l’origine de format
45 x 55 cm), collés bout à bout (raboutés), le papier en
rouleaux ne s’étant répandu que vers le milieu du XIXe
siècle.
Ce mode d’exécution permet aussi la séduisante «tontisse»,
aux motifs en relief imitant le velours. Deux papiers de ce
type6, à rinceaux floraux et à fond bleu intense (prusse noirci)
témoignent de la fidélité de la reconstitution et de la qualité
d’exécution. Ailleurs un papier jonquille éclatant, très XVIIIe,
ou un autre avec un dessin de fines branches sur un fond
vert étonnamment vif, révèle l’adresse de Françoise Subes
pour l’obtention du coloris souhaité.
La technique des cadres lyonnais convient autant aux tissus
qu’aux papiers peints. Tentures et couvre-lits de treize pièces
d’habitation ont pu être ainsi imprimés.
Cette activité va se poursuivre au-delà des besoins domestiques
de Saint-Pandelon. Françoise Subes entreprend des
recherches et se constitue une collection personnelle, base
de ressources où elle va puiser pour proposer aujourd’hui
près de quatre-vingts modèles différents.
Son goût de la perfection et son tour de main irréprochable
lui assurent rapidement un nom dans les monuments historiques,
les musées et les châteaux. La liste des commanditaires
est longue, en France, à l’étranger : Petit hôtel
Labottière à Bordeaux (voir page ??), Maison Louis XIV
à Saint-Jean-de-Luz, château de Viven à Thèse (près de Pau),
château d’Abzac, musée des arts décoratifs de Bordeaux,
Ancien Evêché d’Agen, Hôtel du Conseil Général du Lotet-
Garonne, château Figeac à Saint-Émilion, château de
Saché (Musée Balzac) en Indre-et-Loire, château Pommard
en Côte d’Or…
5. Raymond Subes a
laissé en France des
oeuvres majeures
comme la chaire de
la cathédrale de
Rouen, la grande
grille du narthex de
l’église de Saint-
Germain-des-Prés,
les lampadaires du
pont du Carrousel à
Paris, le tombeau du
maréchal Lyautey
aux Invalides et, à
Bordeaux, le
monumental portail
de la Faculté des
sciences (1958).
6. Caractéristique
d’une production
anglaise qui
commence au début
du XVIIIe siècle et fait
fureur en France à
partir de 1753.
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Recherches Landes
3 Saint Pandelon 10p 12/10/06 11:41 Page 9
Saint-Pandelon,
histoire ouverte
Appelant une maîtrise
constante, vouée à un
programme impérieux, la
démarche de Françoise Subes
a fait de son lieu de vie une véritable
oeuvre d’art, mais n’a-telle
pas en retour jugulé sa
propre créativité… Dans la
cuisine, un grand tableau à
l’huile, au couteau, attire l’attention.
C’est un fruitier où
des poires mûrissent. À l’étage,
une toile de plus petit format se dérobe presque au regard :
les ombres portées, accentuées, attestent la fascination de
l’artiste pour la lumière du midi. Et l’on se dit que ces natures
mortes ont bien du caractère et que c’est peut-être dommage
de n’avoir pas persisté. « Cette maison est le produit d’une
histoire » aime-t-elle à dire, « rien d’une création personnelle
».
Ce renoncement, elle ne semble toutefois pas le regretter.
Son expérience s’est enrichie de recherches passionnées, de
contacts précieux et elle est heureuse aujourd’hui, en
montrant son château, de témoigner de cet accomplissement
peu commun. Car Saint-Pandelon n’est pas tout à fait
comme les autres demeures historiques. De cet esprit d’accueil
– la cuisine servait autrefois à l’hébergement des pèlerins
de Saint-Jacques-de-Compostelle –, le château a gardé
mémoire. Au-delà de sa particularité décorative, chaque pièce
vibre d’une présence singulière, les lieux sont « habités ».
«C’est parce que je vis bien avec mes fantômes », dit
Françoise Subes, amusée. Mais en dépit de la reconstitution
historique, voulue la plus fidèle possible, la marque d’une
entreprise pionnière reste partout inscrite. La patine du temps
est ici réactive, voire rebelle. Est-ce l’esprit papier peint dont
parle l’historien Henri Van Lier ? Le caractère artisanal de
la facture, les couleurs turbulentes, les motifs qui «trouent»
le mur et rendent l’imagination vagabonde ? Cette vitalité,
Françoise Subes a su bien la capter et la faire perdurer. Effet
d’une personnalité.
L’oeuvre titanesque qu’elle signe avec son mari (aujourd’hui
décédé) apporte également une belle contribution à la
science. Le talent d’Édouard Duras, tombé dans l’oubli, est
à nouveau mis au jour. Significatif des goûts d’une époque,
l’ensemble des revêtements de Saint-Pandelon permet de
restituer un pan de la mode en province à la fin du XVIIIe7.
L’efficacité de sa méthode a permis l’« invention » (au sens
latin de «découverte») des papiers peints au plus juste.
Maîtrise virtuose de savoir-faire, ténacité, constance qui honorent
les grands chercheurs, sagacité dans l’expertise, tout
«l’oeuvre» de Françoise Subes réside en ces talents. +
Le château des Évêques est une demeure privée qui ne se visite pas.
• le festin #60 • 10
Françoise Subes
entreprend des
recherches et se
constitue une
collection personnelle,
base de ressources où
elle va puiser pour
proposer aujourd’hui
près de quatre-vingts
modèles différents
7. Généralement,
l’usage des papiers
peints se cantonnait
aux pièces intimes ;
dans les salles de
réception, on leur
préférait boiseries
et gypseries.
Saint-Pandelon,
histoire ouverte
Appelant une maîtrise
constante, vouée à un
programme impérieux, la
démarche de Françoise Subes
a fait de son lieu de vie une véritable
oeuvre d’art, mais n’a-telle
pas en retour jugulé sa
propre créativité… Dans la
cuisine, un grand tableau à
l’huile, au couteau, attire l’attention.
C’est un fruitier où
des poires mûrissent. À l’étage,
une toile de plus petit format se dérobe presque au regard :
les ombres portées, accentuées, attestent la fascination de
l’artiste pour la lumière du midi. Et l’on se dit que ces natures
mortes ont bien du caractère et que c’est peut-être dommage
de n’avoir pas persisté. « Cette maison est le produit d’une
histoire » aime-t-elle à dire, « rien d’une création personnelle
».
Ce renoncement, elle ne semble toutefois pas le regretter.
Son expérience s’est enrichie de recherches passionnées, de
contacts précieux et elle est heureuse aujourd’hui, en
montrant son château, de témoigner de cet accomplissement
peu commun. Car Saint-Pandelon n’est pas tout à fait
comme les autres demeures historiques. De cet esprit d’accueil
– la cuisine servait autrefois à l’hébergement des pèlerins
de Saint-Jacques-de-Compostelle –, le château a gardé
mémoire. Au-delà de sa particularité décorative, chaque pièce
vibre d’une présence singulière, les lieux sont « habités ».
«C’est parce que je vis bien avec mes fantômes », dit
Françoise Subes, amusée. Mais en dépit de la reconstitution
historique, voulue la plus fidèle possible, la marque d’une
entreprise pionnière reste partout inscrite. La patine du temps
est ici réactive, voire rebelle. Est-ce l’esprit papier peint dont
parle l’historien Henri Van Lier ? Le caractère artisanal de
la facture, les couleurs turbulentes, les motifs qui «trouent»
le mur et rendent l’imagination vagabonde ? Cette vitalité,
Françoise Subes a su bien la capter et la faire perdurer. Effet
d’une personnalité.
L’oeuvre titanesque qu’elle signe avec son mari (aujourd’hui
décédé) apporte également une belle contribution à la
science. Le talent d’Édouard Duras, tombé dans l’oubli, est
à nouveau mis au jour. Significatif des goûts d’une époque,
l’ensemble des revêtements de Saint-Pandelon permet de
restituer un pan de la mode en province à la fin du XVIIIe7.
L’efficacité de sa méthode a permis l’« invention » (au sens
latin de «découverte») des papiers peints au plus juste.
Maîtrise virtuose de savoir-faire, ténacité, constance qui honorent
les grands chercheurs, sagacité dans l’expertise, tout
«l’oeuvre» de Françoise Subes réside en ces talents. +
Le château des Évêques est une demeure privée qui ne se visite pas.
• le festin #60 • 10
Françoise Subes
entreprend des
recherches et se
constitue une
collection personnelle,
base de ressources où
elle va puiser pour
proposer aujourd’hui
près de quatre-vingts
modèles différents
7. Généralement,
l’usage des papiers
peints se cantonnait
aux pièces intimes ;
dans les salles de
réception, on leur
préférait boiseries
et gypseries.
3 Saint Pandelon 10p 12/10/06 11:41 Page 10

 

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